vendredi 28 août 2009

L'AME EST-ELLE EN TRAIN DE DISPARAÎTRE ?

vendredi 28 août 2009



ENTRETIENS DU XXIe SIECLE : L'AME EST-ELLE EN TRAIN DE DISPARAÎTRE ?

Paris, 20 avril 2000 - Julia Kristeva, psychanalyste et écrivain, Denise Bombardier, journaliste-vedette de la télévision canadienne et essayiste, et Adalberto Barreto, psychiatre et ethnologue brésilien qui soigne les exclus des favelas, ont débattu, le 18 avril au siège de l'UNESCO, des maladies de l'âme, de leur avenir et de la prévention dans ce domaine. Ce dialogue constituait la 12e séance du cycle des Entretiens du XXIe siècle de l'UNESCO, séance qui s'est tenue en présence du Directeur général, Koïchiro Matsuura, et a réuni un public de plus de 800 personnes.

L'âme est-elle en train de disparaître ? s'est interrogé Jérôme Bindé, Directeur de l'Office d'analyse et de prévision, dans son introduction au débat. Il a notamment souligné que les psychanalystes assistent depuis 20 ou 30 ans à un événement sidérant : " le déclin ou l'éclipse de l'intériorité, de la vie psychique, de l'espace symbolique du sujet et de sa capacité à représenter et à se représenter le conflit ". De nouveaux patients font leur apparition. On voit se multiplier la dépression, a-t-il ajouté, ainsi que les maladies psychosomatiques, les blessures narcissiques et les états-limite, les passages à l'acte et les troubles liés à l'addiction à l'image : " le conflit, au lieu de trouver les mots, s'inscrit alors à même la peau ou le corps ou dans la violence du geste ", a-t-il observé.

Face aux crises de la société moderne, au " malaise de la civilisation " et à l'extension des " maladies de l'âme ", Julia Kristeva a formulé trois questions principales. Pressés par le stress, impatients de gagner et de dépenser, de jouir et de mourir, nos contemporains ont-ils encore une âme ? Ou les manières de vivre contemporaines tendent-elles à éliminer l'âme ou à la mettre en difficulté ? Or ce que dit la psychanalyse, c'est que " vous êtes en vie seulement si vous avez une vie psychique ". Deuxième question : face à la rétraction de l'espace psychique, peut-on encore se révolter ? Julia Kristeva a souligné que la culture moderne ne peut plus être fondée sur l'interdit. Celui-ci, certes, n'est pas levé, mais il est négocié et assoupli parce qu'il est confronté à la révolte, au déclin de l'autorité et à la " crise des valeurs ". Mais le problème est plus profond et concerne notre vie psychique : ce que propose la psychanalyse, c'est de reconstituer une âme " non comme un château fermé, mais comme une interrogation constante ", qui préserve une " révolte intime ". Troisième question : pourquoi la psychanalyse est-elle un athéisme ? Parce que, souligne Julia Kristeva, elle nous fait découvrir le clivage absolu de l'être humain qui rend justement l'absolu impossible, nous faisant découvrir notre nature d'êtres " jetés dans le monde ", dans un univers qui ne peut être stable ; mais en même temps, la psychanalyse, en réveillant l'aptitude à la révolte, conduit le patient à recréer des liens, dans une expérience créative.

Denise Bombardier a surtout insisté sur les pathologies du temps à l'aube du XXIe siècle et sur les " maux de l'âme " que celles-ci induisent, dans des sociétés dominées par les médias, qui ne cessent de faire éclater le temps. Elle a ainsi évoqué la compression du temps dans les sociétés industrielles, jusque dans l'amour et dans la mort, ainsi que la disparition de l'attente et ses nouveaux symptômes, comme la " folie portable " et le déclin de la vie privée ou des " rites de passage ". Les incidences de ces pathologies du temps, qui se traduisent par exemple par l'essor de la pratique du " zapping ", ont des incidences graves sur la transmission des connaissances à l'école et sur la relation à autrui, a-t-elle conclu.

Adalberto Barreto a évoqué son expérience concrète des favelas où survit une population déracinée d'" âmes en peine ". Les " maladies de l'âme " dans cette population d'exclus sont aggravées par le sentiment d'abandon, l'insécurité et la perte de l'estime de soi, a-t-il souligné. " Le plus dramatique dans la favela, ce n'est pas la misère apparente et visible, mais la misère invisible et intériorisée du favelado ", qui le plonge dans un sentiment d'incapacité et l'amène à " s'auto-boycotter ". Face à ces formes graves de marginalisation sociale et psychique, la thérapie communautaire développée dans tout le Brésil par le Professeur Barreto vise à promouvoir des programmes collectifs d'éveil de l'estime de soi dans le groupe, au moyen de techniques adaptées aux cultures locales, et à créer des lieux susceptibles de recréer, dans un esprit participatif, le lien affectif et social. " La restauration de l'estime de soi des exclus constitue la pierre angulaire de la lutte contre les maladies de l'âme au XXIe siècle ", a conclu Barreto, fondateur du Mouvement intégrateur de santé mentale communautaire, qui, avec le soutien d'organes associés à la Conférence nationale des évêques du Brésil, a déjà formé dans ce pays près de 600 dirigeants communautaires actifs dans les favelas.

Unesco Presse N°2000-36

3 commentaires:

Sil a dit…

Vraiment un très intéressant article que tu nous proposes.
Je vais aussi tenter de me remettre à la philosophie contemporaine, notamment avec Michel Onfray et voir aussi ce qu'il en est de ce côté-ci et quant au futur en devenir de l'âme.

Avec toute mon amitié.

Jerry OX a dit…

ah oui !! un sujet fort attractif et qui laisse songeur ! l'ame et son mystère ...voilà matière à philosopher ! merci pour ce billet Mocka !!

que ton week end soit radieux !

Frédéric Baylot a dit…

Le fait que l'absolu soit impossible est il une mauvaise nouvelle ?
En tout cas de prendre conscience de notre précarité, notre impermanence, plus qu'une handicap est pour moi le premier pas vers la libération
libération de l'illusion de la permanence et de l'attachement qu'on y porte
et quand on commence à ne plus lutter contre cette impermanence la peur peut avoir moins de prise sur nous

chaleureusement

frédéric :)

 
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